• Bonne pensée du matin

    A quatre heures du matin, l’été,
    Le sommeil d’amour dure encore.
    Sous les bosquets l’aube évapore
    L’odeur du soir fêté.

    Mais là-bas dans l’immense chantier
    Vers le soleil des Hespérides,
    En bras de chemise, les charpentiers
    Déjà s’agitent.

    Dans leur désert de mousse, tranquilles,
    Ils préparent les lambris précieux
    Où la richesse de la ville
    Rira sous de faux cieux.

    Ah ! pour ces Ouvriers charmants
    Sujets d’un roi de Babylone,
    Vénus ! laisse un peu les Amants,
    Dont l’âme est en couronne.

    Ô Reine des Bergers !
    Porte aux travailleurs l’eau-de-vie,
    Pour que leurs forces soient en paix
    En attendant le bain dans la mer, à midi.

    Arthur Rimbaud


     

     

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  • A Paris, en été, les soirs sont étouffants…
    François Coppée

    A Paris, en été, les soirs sont étouffants.
    Et moi, noir promeneur qu’évitent les enfants,
    Qui fuis la joie et fais, en flânant, bien des lieues,
    Je m’en vais, ces jours-là, vers les tristes banlieues.
    Je prends quelque ruelle où pousse le gazon
    Et dont un mur tournant est le seul horizon.
    Je me plais dans ces lieux déserts où le pied sonne,
    Où je suis presque sûr de ne croiser personne.

    Au-dessus des enclos les tilleuls sentent bon ;
    Et sur le plâtre frais sont écrits au charbon
    Les noms entrelacés de Victoire et d’Eugène,
    Populaire et naïf monument, que ne gêne
    Pas du tout le croquis odieux qu’à côté
    A tracé gauchement, d’un fusain effronté,
    En passant après eux, la débauche impubère.

    Et, quand s’allume au loin le premier réverbère,
    Je gagne la grand’ rue, où je puis encor voir
    Des boutiquiers prenant le frais sur le trottoir,
    Tandis que, pour montrer un peu ses formes grasses,
    Avec son prétendu leur fille joue aux grâces.

    François Coppée, Promenades et Intérieurs

     

     

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  • PRINTEMPS 15

    PRINTEMPS 15


    Dans le jardin

    La jeune dame qui marche sur la pelouse
    Devant l’été paré de pommes et d’appas,
    Quand des heures Midi comblé jette les douze,
    Dans cette plénitude arrêtant ses beaux pas,

    A dit un jour, tragique abandonnée – épouse –
    A la Mort séduisant son Poète : « Trépas !
    Tu mens. Ô vain climat nul ! je me sais jalouse
    Du faux Éden que, triste, il n’habitera pas. »

    Voilà pourquoi les fleurs profondes de la terre
    L’aiment avec silence et savoir et mystère,
    Tandis que dans leur coeur songe le pur pollen :

    Et lui, lorsque la brise, ivre de ces délices,
    Suspend encore un nom qui ravit les calices,
    A voix faible, parfois, appelle bas : Ellen !

    Stéphane Mallarmé

     

     

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