• Kit 10

    Kit 10
    Les jungles

    Sous l'herbe haute et sèche où le naja vermeil
    Dans sa spirale d'or se déroule au soleil,
    La bête formidable, habitante des jungles,
    S'endort, le ventre en l'air, et dilate ses ongles.
    De son mufle marbré qui s'ouvre, un souffle ardent
    Fume ; la langue rude et rose va pendant ;
    Et sur l'épais poitrail, chaud comme une fournaise,
    Passe par intervalle un frémissement d'aise.
    Toute rumeur s'éteint autour de son repos.
    La panthère aux aguets rampe en arquant le dos ;
    Le python musculeux, aux écailles d'agate,
    Sous les nopals aigus glisse sa tête plate ;
    Et dans l'air où son vol en cercle a flamboyé,
    La cantharide vibre autour du roi rayé.
    Lui, baigné par la flamme et remuant la queue,
    Il dort tout un soleil sous l'immensité bleue.

    Mais l'ombre en nappe noire à l'horizon descend,
    La fraîcheur de la nuit a refroidi son sang ;
    Le vent passe au sommet des herbes ; il s'éveille,
    Jette un morne regard au loin, et tend l'oreille.
    Le désert est muet. Vers les cours d'eau cachés
    Où fleurit le lotus sous les bambous penchés,
    Il n'entend point bondir les daims aux jambes grêles,
    Ni le troupeau léger des nocturnes gazelles.
    Le frisson de la faim creuse son maigre flanc
    Hérissé, sur soi-même il tourne en grommelant ;
    Contre le sol rugueux il s'étire et se traîne,
    Flaire l'étroit sentier qui conduit à la plaine,
    Et, se levant dans l'herbe avec un bâillement,
    Au travers de la nuit miaule tristement.

    Charles-Marie LECONTE DE LISLE1818 - 1894

    Sylvie Erwan 

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  • Kit 9

    Kit 9

    La lampe d’Héro

    De son bonheur furtif lorsque malgré l’orage
    L’amant d’Héro courait s’enivrer loin du jour,
    Et dans la nuit tentait de gagner à la nage
    Le bord où l’attendait l’Amour,

    Une lampe envoyait, vigilante et fidèle ,
    En ce péril vers lui son rayon vacillant;
    On eût dit dans les deux quelque étoile immortelle
    Qui dévoilait son front tremblant.

    La mer a beau mugir et heurter ses rivages.
    Les vents au sein des airs déchaîner leur effort,
    Lés oiseaux effrayés pousser des cris sauvages .
    En voyant approcher la Mort ,

    Tant que du haut sommet de la tour solitaire
    Brille le signe aimé sur l’abîme en fureur,
    Il ne sentira point, le nageur téméraire,
    Défaillir son bras ni son cœur.

    Comme à l’heure sinistre où la mer en sa rage
    Menaçait d’engloutir cet enfant d’Abydos,
    Autour de nous dans l’ombre un éternel orage
    Fait gronder et bondir les flots.

    Remplissant l’air au loin de ses clameurs funèbres,
    Chaque vague en passant nous entr’ouvre un tombeau ;
    Dans les mêmes dangers et les mêmes ténèbres
    Nous avons le même flambeau.

    Le pâle et doux rayon tremble encor dans la brume.
    Le vent l’assaille en vain, vainement les flots sourds
    La dérobent parfois sous un voile d’écume,
    La clarté reparaît toujours.

    Et nous, les yeux levés vers la lueur lointaine.
    Nous fendons pleins d’espoir les vagues en courroux ;
    Au bord du gouffre ouvert la lumière incertaine
    Semble d’en haut veiller sur nous.

    O phare de l’Amour ! qui dans la nuit profonde
    Nous guides à travers les écueils d’ici-bas,
    Toi que nous voyons luire entre le ciel et l’onde.
    Lampe d’Héro, ne t’éteins pas !

    Louise Ackermann, Premières Poésies, 1871

     Sylvie Erwan 

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  • Kit 8

    Kit 8

    La coupe du roi de Thulé

    Au vieux roi de Thulé sa maîtresse fidèle
    Avait fait en mourant don d’une coupe d’or,
    Unique souvenir qu’elle lui laissait d’elle,
    Cher et dernier trésor.

    Dans ce vase, présent d’une main adorée,
    Le pauvre amant dès lors but à chaque festin.
    La liqueur en passant par la coupe sacrée
    Prenait un goût divin.

    Et quand il y portait une lèvre attendrie,
    Débordant de son cœur et voilant son regard,
    Une larme humectait la paupière flétrie
    Du noble et doux vieillard.

    Il donna tous ses biens, sentant sa fin prochaine,
    Hormis toi, gage aimé de ses amours éteints ;
    Mais il n’attendit point que la Mort inhumaine
    T’arrachât de ses mains.

    Comme pour emporter une dernière ivresse.
    Il te vida d’un trait, étouffant ses sanglots,
    Puis, de son bras tremblant surmontant la faiblesse»
    Te lança dans les flots.

    D’un regard déjà trouble il te vit sous les ondes
    T’enfoncer lentement pour ne plus remonter :
    C’était tout le passé que dans les eaux profondes
    Il venait de jeter.

    Et son cœur, abîmé dans ses regrets suprêmes,
    Subit sans la sentir l’atteinte du trépas.
    En sa douleur ses yeux qui s’étaient clos d’eux-mêmes
    Ne se rouvrirent pas.

    Coupe des souvenirs, qu’une liqueur brûlante
    Sous notre lèvre avide emplissait jusqu’au bord,
    Qu’en nos derniers banquets d’une main défaillante
    Nous soulevons encor,

    Vase qui conservais la saveur immortelle
    De tout ce qui nous fit rêver, souffrir, aimer.
    L’œil qui t’a vu plonger sous la vague éternelle
    N’a plus qu’à se fermer.

    Louise Ackermann, Premières Poésies, 1871

     

    Sylvie Erwan 

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