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    Claire de lune sentimental

    A travers la folle risée
    Que Saint-Marc renvoie au Lido,
    Une gamme monte en fusée,
    Comme au clair de lune un jet d'eau...

    A l'air qui jase d'un ton bouffe
    Et secoue au vent ses grelots,
    Un regret, ramier qu'on étouffe,
    Par instant mêle ses sanglots.

    Au loin, dans la brume sonore,
    Comme un rêve presque effacé,
    J'ai revu, pâle et triste encore,
    Mon vieil amour de l'an passé.

    Mon âme en pleurs s'est souvenue
    De l'avril, où, guettant au bois
    La violette à sa venue,
    Sous l'herbe nous mêlions nos doigts...

    Cette note de chanterelle,
    Vibrant comme l'harmonica,
    C'est la voix enfantine et grêle,
    Flèche d'argent qui me piqua.

    Le son en est si faux, si tendre,
    Si moquer, si doux, si cruel,
    Si froid, si brûlant, qu'à l'entendre
    On ressent un plaisir mortel,

    Et que mon cœur, comme la voute
    Dont l'eau pleure dans un bassin,
    Laisse tomber goutte par goutte
    Ses larmes rouges dans mon sein.

    Jovial et mélancolique,
    Ah! vieux thème du carnaval
    Où le rire aux larmes réplique,
    Que ton charme m'a fait de mal!

    Théophile Gautier (1811-1872)

     

     

     

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    Jean Cocteau

    Préface à " Venise que j'aime " - 1951

    Où vit-on des danseurs au bout de feuilles mortes,
    Tant de lions couchés devant le seuil des portes,
    Tant d'aiguilles de bois, de dentelles de fer,
    De dentelles de marbre et de chevaux en l'air ?
    Où vit-on tant de fruits qu'on charge et qu'on décharge ?
    Tant de Jésus marcher sur l'eau,
    Tant de pigeons marchant de long en large
    Avec habit à queue et les mains dans le dos ?
    Où vit-on, d'un orteil, tenir sur une boule
    Un homme armé d'un parchemin ?
    Où vit-on labyrinthe encombré d'une foule
    Qui jamais ne perd son chemin ?
    Où vit-on flotter tant d'épluchures d'oranges,
    Tant de ronds, de carrés, d'ovales, de losanges
    Où vit-on des bustes charmants
    Glisser, les bras tendus, sur le bord des terrasses ?
    Où vit-on manger tant de glaces ?
    Où vit-on des radeaux être de belles places ?
    Où vit-on sur un pied dormir les monuments ?
    Où vit-on un palais qui penche
    Attendre quoi ? debout et le poing sur la hanche ?
    Où vit-on sur lamer machiner un décor ?
    Tant de filles en deuil et de dames blanches
    Se mettre au carnaval une tête de mort ?
    Où vit-on parcourir avec paniers et boîtes
    Tant de porteurs légers qui n'ont que des mains droites ?
    Où vit-on atteler des hippocampes d'or ?

        

     

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    Ô ma jolie Vénitienne !

     

    Ô ma jolie Vénitienne !

     Ô ma jolie Vénitienne !

    Dans la cambrure du Grand Canal ,
    J'ai vu fleurir des choses étranges .
    Quand les dorures sont végétales ,
    Ici les roses portent les anges .

    Villon y dirait leurs douleurs ,
    Baudelaire aimerait leurs frayeurs,
    Rimbaud y tiendrait ses couleurs ,
    Et ses voyelles, et mon bonheur .

    Ô, ma jolie vénitienne!
    Comme l'amour à l'antienne ,
    Posons sur toi le bleu de Sienne ,
    L'indigo des mers lointaines ,
    Ô, ma jolie vénitienne !

    Je t'ai cherchée sur les canaux,
    A l'aube , au pont du Rialto ,
    Comme d'autres s'enfuient à Bornéo
    Vers on ne sait quel Eldorado .
    Je t'ai cherchée sur les canaux .

    Ô, ma jolie vénitienne!
    Comme l'amour à l'antienne ,
    Posons sur toi le bleu de Sienne ,
    L'indigo des mers lointaines ,
    Ô, ma jolie vénitienne !

    A l'appel des vaporetti ,
    Au départ du pont des Scalzi ,
    M'enchante une fille d'Italie
    Qui chaque jour refleurit ,
    A l'appel des vaporetti .

    Ô, ma jolie vénitienne!
    Comme l'amour à l'antienne ,
    Posons sur toi le bleu de Sienne ,
    L'indigo des mers lointaines ,
    Ô, ma jolie vénitienne !

    Une goutte de Bardolino
    Réveilla mon cœur de Pierrot :
    Larme grenat de vin sans eau .
    Sous le pinceau de Carpaccio ,
    Une goutte de Bardolino .

    Ô, ma jolie vénitienne!
    Comme l'amour à l'antienne ,
    Posons sur toi le bleu de Sienne ,
    L'indigo des mers lointaines ,
    Ô, ma jolie vénitienne !

    Je t'ai rêvée à San Marco
    A l'ombre d'un cappucino .
    Au Florian sans nous dire un mot ,
    Sous l'azur pour un boléro ,
    Je t'ai rêvée à San Marco .

    Ô, ma jolie vénitienne!
    Comme l'amour à l'antienne ,
    Posons sur toi le bleu de Sienne ,
    L'indigo des mers lointaines ,
    Ô, ma jolie vénitienne !

    Elle a remis sa beauté blême
    Posant un masque à mon poème .

    De ses doigts sur mes lèvres crème ,
    Quand j'ai écrit les mots " Je t'aime ",
    Elle a remis sa beauté blême .

    Ô, ma jolie vénitienne!
    Comme l'amour à l'antienne ,
    Posons sur toi le bleu de Sienne ,
    L'indigo des mers lointaines ,
    Ô, ma jolie vénitienne !

    Gérard Cotton

     

     

     

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